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Analyse des pratiques professionnelles ou Groupe de codéveloppement professionnel ?

Dans le champ de l’action sociale, en lien avec les recommandations de l’HAS, les équipes de professionnels participent à des groupes d’analyse des pratiques professionnelles.

Ceux-ci s’adressent le plus souvent aux membres d’une équipe qui travaillent ensemble auprès d’un public qu’ils accompagnent soit en milieu ordinaire, soit en établissement et sont animées par des intervenants aux références variées (systémiciens, psychanalystes, psychosociologues, psychiatres, psychologues, professionnels expérimentés…).

Le cadre de l’APP est très variable et dépend autant des références théoriques des équipes que de celles des intervenants et il faut entendre par équipe tous les professionnels qui exercent ensemble ou seulement une partie de celle-ci. Une tendance actuelle propose également de mutualiser l’APP entre différents services d’une même organisation.

L’APP est le plus souvent programmée à raison d’une fois par mois pour des séquences d’une durée de 2 heures, parfois plus et parfois moins.

Selon les choix des institutions, l’APP est obligatoire ou basée sur les principes de la libre adhésion et le plus généralement le groupe n’intègre pas les N+1.

Selon les exigences ou les contingences matérielles et financières, l’APP est devenue multiforme. Au fil des années, le cadre initial de l’APP s’est élargi. Quelle est la pertinence de l’APP quand les professionnels qui y participent ne travaillent pas ensemble ?

Mon propos n’est pas ici d’apporter une critique, mais de décrire ce qu’il m’a été donné de voir durant ma carrière d’éducateur, de directeur ou de directeur général.

L’APP est très pertinente et demeure pour les équipes un espace de travail indispensable pour peu que les institutions en respectent les fondamentaux. Ses bénéfices sont multiples : prévention des RPS, co-construction, amélioration de l’écoute, cohésion d’équipe, déblocage de situations…

D’ailleurs, les cadres intermédiaires et les directions ont progressivement utilisé l’APP pour leur équipe d’appartenance.


Mais de quelle équipe s’agit-il ?

La définition la plus simple de l’équipe serait : « Groupe de personnes devant accomplir une tâche commune ».

Selon Olivier Devillard, une équipe se caractérise par :

  • Un chef d’équipe
  • Des équipiers
  • Un objectif commun
  • Une cohésion humaine
  • Une cohésion technique
  • Un contexte

Les institutions sociales et médicosociales connaissent une évolution importante de leur organisation :

  • Regroupements associatifs
  • Micro-services rattachés à des services ou établissements
  • Création de nouveaux métiers (coordinateurs…)
  • Encadrement intermédiaire centré sur le management et la gestion de l’organisation
  • Création des pôles et dispositifs.

Dans ces nouveaux contextes l’APP peine à satisfaire certains professionnels notamment les cadres intermédiaires ou les professionnels de différentes micro-équipes regroupées pour l’APP. Pour ceux-ci, quels est l’objectif commun pour ne prendre que le plus petit dénominateur commun ?

Proposons deux exemples.

Les cadres intermédiaires :

Dans le champ de l’action sociale, il s’agit des chefs de service ou des directeurs adjoints.

Quel est l’objectif commun de cadres intermédiaires qui exercent au sein d’une même organisation mais dans des services aussi différents qu’une Maison d’enfants à caractère social, une maison d’accueil spécialisée, un SESSAD au sein d’un dispositif ITEP, un institut médicoéducatif, un service d’assistance éducative en milieu ouvert, un centre éducatif renforcé ou encore un centre d’accueil pour demandeurs d’asile ?

Dans l’absolu, ils ne participent pas à l’APP de l’équipe qu’ils managent. En quoi, l’APP peut-elle être efficiente pour des groupes de cadres qui par ailleurs ne collaborent pas ou peu, voire ne se connaissent pas sauf à participer à l’Assemblée générale annuelle de leur organisation ou au groupe de travail relatif à la démarche d’amélioration continue de la qualité, par exemple.

Il s’agit effectivement d’un groupe de pairs, pas d’une équipe.

Les micro-équipes :

Trop petites pour constituer un groupe d’APP (ça peut se discuter) en raison principalement de contraintes budgétaires, elles sont rassemblées, parfois, avec d’autres micro-équipes qui exercent sur un même territoire.

La même question se pose pour elles : en quoi forment elles une équipe, quel est leur objectif commun, leur niveau de cohésion ou leur contexte ?

Pour renforcer, s’il en est besoin, la difficulté, ce sont souvent des équipes pluridisciplinaires.

Dans ces deux exemples, les absences ou le silence sont souvent un symptôme de la faible adhésion. Comment se sentir concerné par les préoccupations d’un autre quand je ne partage ni un projet commun, que je ne pratique pas avec lui, voire qui n’exerce pas auprès d’un public identique et qui n’est pas un pair ?

Ces professionnels ont besoin d’un espace de travail où acquérir des compétences et savoir-faire, ont besoin d’espaces de respiration, d’espaces de ressourcement, de réflexion et de partages.


Dans ces situations, il existe un autre modèle d’intervention :
les groupes de codéveloppement professionnel (CODEV).

« Le groupe de CODEV est une approche de développement des personnes qui croient pouvoir apprendre les unes des autres afin d’améliorer leur pratique. La réflexion effectuée, individuellement et en groupe, est favorisée par un exercice structuré de consultation qui porte sur des problématiques vécues actuellement par les participants. L’un après l’autre, les participants prennent le rôle de clients pour exposer l’aspect de leur pratique qu’ils veulent améliorer, pendant que les autres agissent comme consultants pour aider ce client à rendre sa pratique plus efficace en enrichissant sa compréhension et en élargissant sa capacité d’action ».[1]

Les groupes de codéveloppement professionnel se déclinent selon une méthode rigoureuse (qui a d’ailleurs inspiré certains praticiens de l’analyse de la pratique) et à certaines conditions :

  • Le groupe comprend de 4 à 8 participants qui sont pairs.
  • Le N+1, s’il y a lieu n’est pas intégré à ce groupe.
  • Chaque participant expérimente les rôles de « client » et de « consultant ».
  • Les professionnels et l’animateur s’engagent au respect d’un code éthique et de règles de fonctionnement du groupe.
  • Le groupe s’engage à travailler un an ou plus (6mois pour le premier engagement).
  • L’animateur est formé au GCP.

Le déroulement d’une séance est ponctué par 6 étapes selon la méthode de Payette et Champagne et aboutit à l’élaboration d’un plan d’action par le client.

Le GCP est un espace où peuvent être abordées des situations telles que : une situation managériale difficile, retrouver sa place dans une équipe après une absence, accompagner un changement et faire adhérer ses équipes, débloquer une situation d’accompagnement difficile, mieux travailler en transversalité…

Le GCP produit des savoirs, améliore les pratiques, renforce l’identité professionnelle, développe les compétences d’écoute et de travail en réseau et consolide l’identité professionnelle.

Pour l’APP ou les GCP, les qualités de l’intervenant sont primordiales. Quelles sont ses expériences ? Quelles sont ses formations ? Est-il supervisé pour sa pratique ? Quelles sont ses références ?

Analyse des pratiques professionnelles et groupe de codéveloppement professionnel nécessitent un cadre de référence rigoureux et adapté au contexte. A vous de choisir celui qui vous semble adapté à votre contexte et à celui de vos professionnels.

Lionel Belkhirat


[1] Adrien Payette et Claude Champagne, « le groupe de codéveloppement professionnel », édition Presses de l’Université du Québec.